Enigme n°11
Je suis née des embruns entre caps et goulet,
Le savoir, sans école, est venu clandestin
Au café des parents, par les pointes et les baies,
Murmurer aux oreilles du pâle destin
D’une fille du cuir et du papier mêlés.
Comme j’aime le livre et ses tendres murmures,
La boutique était belle, elle avait fière allure,
Quand nous fîmes faillite c’est les yeux embués
Que je quittais jeunesse pour rejoindre Paris.
Que je quittais mon homme comme on quitte la tombe,
Promise à l’épouse dont l’idiot de mari
A le vin si mauvais que les éclats du rhombe,
Ne suffisent même plus à calmer le courroux.
Comme j’aime le livre, mes amis ouvriers,
Et la lutte et la grève sans chichi ni froufrou,
On y forge nos rêves d’un monde parfait
Où les hommes ne sont pas plus égaux que les femmes.
Notre enseigne était pleine de ceux-là qu’on exploite,
Et puis vint la révolte qui ne sied pas aux dames,
Dans la rue dépavée je combats maladroite,
L’âme d’un vieux sergent qui secourt les blessés.
Puis je fus arrêtée comme les camarades,
Du conseil des soldats je fus la condamnée
A l’exil hors de France et de leur mascarade,
Déportée politique dans les pas d’une sœur.
Car la femme aux yeux bruns partageait mon bateau,
Ma cabane et mes doutes, l’indicible douleur
Avant d’être amnistiée et sauvée du chaos,
Revenir sans cortège, ni drapeau ni discours.
Et puis perdre la vue, sans lumière finir
Sans pouvoir plus rien vivre, sans pouvoir plus rien lire
Sans personne pour suivre les derniers pas du jour.
Qui suis-je ?